Grossesses adolescentes : anticiper les difficultés

mar, 08/08/2017 - 17:27 -- siteadmin

Les très jeunes mères ont avant tout besoin de soutien et de bienveillance.

En France, 7400 jeunes femmes de moins de 19 ans ont accouché durant l’année 2015, parmi lesquelles 476 de moins de 16 ans, indiquent les derniers chiffres de l’Institut national d’études démographiques (Ined). En 1980, 25.600 naissances chez des mères de moins de 19 ans avaient été recensées, dont 911 chez des jeunes filles de moins de 16 ans. Les deux tiers des grossesses non souhaitées avant 19 ans sont interrompues. Le nombre des maternités adolescentes ne cesse de diminuer, mais elles continuent à interroger bien au-delà de leur poids statistique réel.

Ces grossesses à l’adolescence, considérées à risque, s’accompagnent d’un surrisque minime de prématurité et de petit poids de naissance. «Celui-ci n’est pas dû au jeune âge des mères, mais seulement aux mauvaises conditions socio-économiques dans lesquelles vivent certaines d’entre elles, et qui ont le même impact chez les mères plus âgées », explique le Pr Israël Nisand, gynécologue-obstétricien (CHU Strasbourg). «Sur le plan physiologique, une fille de 15 ans peut tolérer et mener à bien une grossesse sans plus de difficultés qu’une autre femme».

Le risque est surtout psychologique. «Il n’existe pas de profil ou de marqueur psychologique commun aux grossesses précoces. Nous recherchons une dépression sous-jacente, un peu plus fréquente dans cette population», souligne le Dr Pierre Désaunay, pédopsychiatre (CHU Rouen). Ces jeunes mères suivies au CHU de Rouen rencontrent toutes un pédopsychiatre ou un psychologue. «Nous cherchons à comprendre dans quel contexte familial une toute jeune femme a envie de devenir mère, pour repérer les situations de vulnérabilité où cette grossesse serait en lien avec une souffrance de l’adolescente dans sa famille. Nous proposons un suivi à celles dont la situation nous inquiète: les très jeunes mères, celles qui sont en carence affective ou vivent dans des climats conjugaux ou familiaux de violence, qui ont un parcours personnel difficile ou sont socialement désinsérées…»

Différencier désir de grossesse et désir d’enfant

Ces grossesses adolescentes sont toutes singulières. Pour la psychologue Jacqueline Wendland (université Paris-Descartes et hôpital Pitié-Salpêtrière), il faut différencier désir de grossesse et désir d’enfant. «Dans le désir de grossesse, c’est plus l’envie de tester son corps, sa fertilité, qui s’exprime» et conduira souvent à une IVG. D’autres choses se jouent dans l’envie d’être mère. « La maternité peut être vécue comme un mode d’accès à l’autonomie. Dans certaines situations fragiles, on peut l’envisager comme une forme de réparation à des carences affectives ou pour donner un sens à leur existence. Certaines deviennent mères jeunes car elles sont nées de parents jeunes. Ces grossesses précoces peuvent aussi être liées à la valorisation de la maternité dans certaines cultures», explique le Dr Désaunay.

Plus largement, elles sont aussi en relation avec la situation scolaire, matérielle, relationnelle dans laquelle ces jeunes filles se trouvent. «Pour une très jeune fille en rupture scolaire, ou qui ne trouve pas de place dans la société, accéder à la parentalité peut être un mode d’entrée dans cette société, puisque c’est une manière de devenir adulte socialement», indique Yaëlle Amsellem-Mainguy, sociologue à l’Injep*, rappelant que si, en France, la majorité civile et pénale est fixée à 18 ans, la reconnaissance sociale sous-tendue par l’ouverture des droits à certaines aides n’intervient, elle, qu’à 25 ans… sauf si on devient parent.

Concilier vie scolaire et maternité

Pour le Pr Nisand, la dimension socio-économique est d’ailleurs au premier plan de ces grossesses adolescentes. «Les jeunes filles bien insérées socialement ont recours à la contraception. Celles qui le sont un peu moins ont recours à l’IVG et celles qui le sont encore moins n’y ont même pas recours.» Ces grossesses très précoces ne sont pas toujours non désirées. «Comme le devenir de l’enfant dépend très largement du degré de scolarité de la mère, le retour à l’école de ces jeunes filles constitue une sorte d’urgence pour tous les professionnels de santé qui les entourent.»

Or la reprise scolaire reste compliquée. Concilier vie scolaire et maternité s’avère souvent acrobatique. «Avec l’arrivée du bébé, l’adolescente va avoir moins de temps libre, renoncer à beaucoup de choses… Il va donc falloir l’entourer, l’aider dans la poursuite de sa scolarité mais aussi pour pouvoir conserver des relations avec ses amis du même âge…», insiste Jacqueline Wendland. Une préoccupation qu’exprime aussi le Dr Désaunay: «Nous sommes attentifs à ce que ces jeunes mères, qui ont à cœur de bien s’occuper de leur enfant, ne mettent pas trop entre parenthèses leurs liens amicaux, leurs projets personnels.» Celles qui veulent retrouver un travail sont, de même, confrontées à tous les obstacles que rencontrent les jeunes, majorés par les contraintes de la maternité. Mais il y a aussi des jeunes pour lesquels la grossesse est un choix délibéré, un projet assumé. Certaines de ces grossesses adolescentes peuvent être tout à fait heureuses si elles sont bien accompagnées et bien acceptées.

La place du père  devrait être valorisée

Comment mieux aider les mères adolescentes à assumer leur rôle? Pour le Dr Désaunay, «il faudrait pouvoir être plus attentif à tous les adolescents en souffrance. Certaines jeunes filles en carence affective attendent de la maternité une forme de résilience, alors que celle-ci peut, au contraire, majorer leur isolement. La prévention des difficultés dépend surtout du soutien qu’on peut leur apporter, de la multiplicité et de la qualité des liens dans le couple, avec la famille, avec la sage-femme, la puéricultrice, les services sociaux, l’école, les amis…».

La place du père aussi mériterait d’être valorisée. «Les pères adolescents sont très largement absents. Mais quand le père est présent ou veut s’investir, que les relations avec la mère sont bonnes, c’est bénéfique pour tous , souligne Jacqueline Wendland. Ces jeunes pères ont du mal à trouver leur place. Il faudrait que la société ait aussi une attitude plus accueillante à leur égard. Certains foyers d’hébergement “ mère-enfant” commencent timidement à accueillir les couples de jeunes parents, mais cela reste encore trop rare.»

Pour Yaëlle Amsellem-Mainguy, beaucoup dépend de l’entourage. «La famille, présente pour épauler la mère, assurer en partie la garde de l’enfant pour permettre le retour à l’école ou la reprise d’un emploi, le soutien des services de l’État et des collectivités peuvent constituer une aide précieuse.» Pour quel devenir à long terme? «Il y a très peu de données quantitatives sur le parcours ultérieur de ces femmes, et aucune enquête de suivi. Donc, en l’état actuel, c’est une question sans réponse .»

L’accouchement sous X

Chaque année, les maternités françaises enregistrent quelques centaines d’accouchement sous X (625 en 2014). C’est donc un phénomène très marginal. Or les adolescentes et les jeunes femmes de moins de 20 ans encore dépendantes de leurs parents, alors qu’elles ne comptent que pour 3,5 % des naissances dans l’ensemble de la population, représentaient en 2009 plus du quart des accouchements sous X.

La France est le seul pays d’Europe avec le Luxembourg à permettre à une femme de ne pas dévoiler son identité lorsqu’elle met un enfant au monde. Le nombre de naissances anonymes a considérablement diminué grâce à l’efficacité des moyens de contraception et à la loi sur l’IVG.

Déni de grossesse

Ces accouchements sous X sont dus le plus souvent à la découverte tardive d’une grossesse non voulue, qui, dans la presque totalité des cas, est alors hors délai pour qu’on puisse réaliser une IVG, soit au-delà de 12 semaines de grossesse. Dans certaines situations, la grossesse n’est découverte qu’au cinquième ou sixième mois…

Ces accouchements sous X sont aussi plus fréquemment associés à un déni de grossesse chez ces adolescentes, c’est-à-dire à la non-reconnaissance inconsciente, par la femme enceinte, de son état de grossesse à partir du deuxième trimestre de celle-ci. «Ce déni n’a rien à voir avec une dissimulation. Parfois, la femme enceinte n’a aucune perception de son état, que le corps dissimule, pouvant aller par exemple jusqu’à mimer la persistance des règles, parfois la perception de la grossesse est fugace, incomplète…», explique le Dr Pierre Désaunay.

Le choix de l’accouchement sous X est principalement motivé par le très jeune âge des mères, souvent encore scolarisées, la séparation ou les relations difficiles avec le père de l’enfant, la crainte des réactions de la famille et les difficultés socio-économiques. «Les quelques situations de cet ordre que j’ai rencontrées s’inscrivaient dans un climat de relations familiales troublé, précise le médecin. Mais est-ce toujours le cas?»

Source : Le Figaro

http://sante.lefigaro.fr/article/grossesses-adolescentes-anticiper-les-difficultes